COVID 19 ET DROIT DE RETRAIT

Le 16 mars 2020, dans le cadre de son allocution télévisée, le Président de la République a annoncé sans jamais le nommer le confinement général afin de ralentir la progression du virus COVID 19.

Cette annonce faisait suite à celle du 13 mars 2020 du Premier Ministre Edouard Philippe de la fermeture des commerces et services publics jugés « non essentiels ».

S’en est suivi un arrêté du 14 mars 2020 modifié par arrêtés des 16, 17 et 19 mars 2020 venant préciser les secteurs conduits de facto à la fermeture du fait de l’interdiction d’y accueillir du public ainsi que les aménagements possibles.

Si le salarié ne travaille pas dans un secteur frappé de fermeture, et sous réserve qu’il ne soit pas acculé à la garde de des enfants de moins de 16 ans lui offrant la possibilité d’être en arrêt de travail indemnisé, il doit travailler.

Le maintien de l’activité doit s’effectuer dans le cadre du télétravail qui devient au stade 3 de l’épidémie « la norme ».

Mais lorsque le télétravail n’est pas possible, le salarié doit se rendre sur son lieu de travail et de ce fait être en contact avec ses collègues et même du public s’il travaille dans un secteur « essentiel ».

C’est alors que peut se poser la question pour le salarié d’avoir à exercer son droit de retrait.

  • 1/ Le cadre juridique du droit de retrait :

Le droit de retrait est défini à l’article L4131-1 du Code du travail :

 Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

 Il peut se retirer d’une telle situation.

 L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.

 En bref, le salarié allègue d’un danger grave et imminent et quitte son poste de travail.

Quoique l’anxiété soit totalement légitime, la position de principe est que dans des situations telles que des pandémies comme le COVID 19, le droit de retrait ne s’applique pas systématiquement car il vise une situation particulière de travail et non la situation générale de pandémie.

Toute la subtilité de l’exercice du droit de retrait va donc consister à analyser si l’entreprise a mis en place les « mesures barrière » préventives d’une propagation du virus.

 En filigrane de ces mesures barrière, l’obligation de sécurité de l’employeur prévue à l’article L. 4121-1 du code du travail qui prévoit que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires « pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des travailleurs ».

Comme le rappelle le document référence en matière de COVID 19, à savoir les questions réponse pour les employeurs et salariés (version à jour au 19 mars 2020), l’employeur peut être fondé à prendre des dispositions contraignantes pour assurer la protection de la santé du personnel après évaluation du risque de contagion dans l’entreprise.

Le pendant de cette obligation pour le salarié figure à l’article L. 4122-1 du code du travail, « conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. »

En conséquence le salarié doit respecter les consignes sanitaires qui lui sont données.

Il est rappelé que la transmission du virus se fait par un « contact étroit » avec une personne déjà contaminée, par l’inhalation de gouttelettes infectieuses émises lors d’éternuements ou de toux par la personne contaminée.

  • 2/ Présentation de différentes situations suscitant des « mesures barrière » de l’employeur :

a/ Premier cas : travail en entreprise hors présence de public :

Les mesures préventives générales sont le numéro d’urgence, si nécessaire masques distribués, liquide hydroalcoolique mis à disposition.

De plus, l’employeur doit repenser l’organisation du travail :

– en mettant en place des règles de distanciation et les gestes barrière qui doivent impérativement être respectés,

 – Il convient de limiter au strict nécessaire les réunions dont la plupart peuvent être organisées à distance et les autres dans le respect des règles de distanciation ;

– Il convient de limiter les regroupements de salariés dans des espaces réduits ;

 – Les déplacements non indispensables doivent être annulés ou reportés ;

 – L’organisation du travail doit être au maximum adaptée afin de mettre en place la rotation des équipes.

 b/ Deuxième cas : les salariés en contact avec le public

L’on distingue deux situations rappelées dans le document questions/réponse du Ministère :

  • si les contacts sont brefs, les mesures « barrières » (www.gouvernement.fr/infocoronavirus) notamment celles ayant trait à la limitation des contacts et au lavage très régulier des mains suffisent.

 Si les contacts sont prolongés et proches, il y a lieu de compléter les mesures « barrières » par le maintien d’une zone de distance d’un mètre entre le salarié et la clientèle, par le nettoyage des surfaces avec un produit détergent, ainsi que par le lavage régulier et savonné des mains.

 c/ Troisième cas : le salarié qui présenterait des symptômes

L’employeur qui n’est pas médecin doit alors se faire juge de l’état de santé de son salarié.

Le Ministère lui donne un axe de « diagnostic » :

« En l’état actuel des connaissances, les symptômes principaux de l’infection respiratoire provoquée par le coronavirus COVID-19 sont la fièvre et des signes respiratoires de type toux ou essoufflement ».

 Rappelons que la presse de fait aussi l’echo d’autres formes de COVID 19 avec des symptômes d’ordre digestif sans toux…

Pour autant, « En cas de suspicion, l’employeur est autorisé à renvoyer le salarié à son domicile pour qu’il appelle son médecin. En cas de symptômes graves, l’employeur, doit contacter le 15 ».

  1. d/ Quatrième cas : la situation la plus critique : le collègue de travail contaminé

Pour que la contamination soit avérée, encore faudrait-il que le salarié ait été testé.

Or on touche là à une carence majeure en matière de protection sanitaire puisque l’employeur ne sera avisé probablement que d’une suspicion de contamination ( et encore le cas échéant car le secret médical n’est pas aboli).

Pour autant le Ministère du travail précise qu’en cas de contamination, les mesures suivantes devront être prises, le coronavirus pouvant « probablement survivre 3 heures sur des surfaces sèches :

 équipement des personnes en charge du nettoyage des sols et surfaces avec port d’une blouse à usage unique, de gants de ménage (le port de masque de protection respiratoire n’est pas nécessaire du fait de l’absence d’aérosolisation par les sols et surfaces) ;

 entretien des sols : privilégier une stratégie de lavage-désinfection humide de sorte que :

– les sols et surfaces soient nettoyés avec un bandeau de lavage à usage unique imprégné d’un produit détergent ;

– les sols et surfaces soient en suite rincés à l’eau du réseau d’eau potable avec un autre bandeau de lavage à usage unique ;

un temps de séchage suffisant de ces sols et surfaces soit laissé ;

  • les sols et surfaces doivent être désinfectés avec de l’eau de javel diluée avec un bandeau de lavage à usage unique différent des deux précédents.
  • les déchets produits par la personne contaminée suivent la filière d’élimination classique.
  • 3/ Et le droit de retrait dans tout ça ?

On le comprend bien à quel point la situation pour le salarié en particulier la dernière est anxiogène. D’ailleurs les risques psychosociaux ne peuvent qu’augmenter dans un tel contexte.

La situation est également anxiogène pour l’employeur qui à un certain niveau de contamination, préférerait fermer purement et simplement son entreprise.

Comment travailler efficacement alors que le salarié était hier à son poste et a pu contaminer tout le monde ?

Mais s’il décidait de fermer pour un impératif pur de sécurité on lui refuserait probablement le chômage partiel !

En effet par des discours chaque jour plus contradictoires, la majorité des salariés vit en confinement alors que le gouvernement exhorte dans le même temps les entreprises à poursuivre leur activité.

Alors que l’obligation de sécurité jadis était de résultat, l’obligation de sécurité glisse vers une obligation de moyens alors que le risque n’a jamais été aussi grand.

Quid du droit de retrait dans ce contexte ?

Ce qui ressort de la position de l’administration censée protéger le salarié, c’est que celui-ci ne peut exercer son droit de retrait parce qu’il a peur ; il doit mener une analyse rationnelle de la situation et être à même de caractériser objectivement un danger grave et imminent pour sa santé.

Or comme le précise le Ministère du travail : « Dans le contexte actuel, dans la mesure où l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le code du travail et les recommandations nationales (https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus) visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s’exercer ».

Mais si l’employeur a mis en place les mesures barrière (et objectivement il ne peut rien faire d’autre) cela ne signifie pas que le danger a disparu…

C’est là que l’on glisse lentement vers une responsabilité non de l’Employeur mais de l’Etat…

De même, « la seule circonstance qu’un salarié a été contaminé ne suffit pas, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, à considérer qu’il justifie d’un motif raisonnable pour exercer son droit de retrait ».

En l’occurrence le Conseil de Prud’hommes effectuerait une analyse « au cas par cas » de la situation.

D’abord le salarié qui exerce de manière légitime son droit de retrait ne peut ni être sanctionné ni se voir se voir priver de sa rémunération conformément aux dispositions de l’article L4131-3 du Code du Travail.

Le pendant pour l’employeur est que s’il considère en revanche que le droit de retrait est abusif, il procède à une retenue sur salaires.

Le salarié saisit alors le Conseil de Prud’hommes et ce même en référé pour obtenir le paiement du rappel de salaire.

Pour conclure les points de vigilance :

  • -Appréciation au cas par cas: ex si un collègue présente tous les signes du virus suivant les informations communiquées par l’agence régionale de sécurité, le gouvernement, etc… et si l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaire pour lutter contre le virus (information sur les mesures à prendre, numéro d’urgence, si nécessaire masques distribués, liquide hydroalcoolique mis à disposition etc.) = dans ce cas il existe des motifs raisonnables de penser que la situation au travail présente un danger grave et imminent pour la santé, pour reprendre la définition légale.

 Mesures préventives: l’employeur doit pouvoir démontrer qu’il a pris les mesures préventives nécessaires en l’occurrence qu’il a mis en place les préconisations du gouvernement. Au-delà, rappelons que l’employeur qui ne respecte pas ces mesures engage sa responsabilité sur le terrain de son obligation de sécurité voire sur celui de la faute inexcusable en cas d’AT/ MP à plus forte raison en cas de droit de retrait car dans ce cas la responsabilité est automatiquement engagée,

  • -Personnes à risques(femme enceinte, maladie respiratoire chronique etc): l’état de santé ne parait pas justifier le droit de retrait ; en revanche, un arrêt maladie classique serait justifié (à l’initiative du salarié)
  • – Si droit de retrait non justifié: du point de vue de l’employeur mettre en demeure le salarié de reprendre son poste en rappelant les mesures prises par l’employeur pour garantir la sécurité des salariés, suspension de sa rémunération, voire sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. La sanction sera d’autant plus justifiée que l’activité est « essentielle »