La Cour de cassation vient de rappeler dans un arrêt dont la parution était attendue qu’en vertu de l’article L. 1235-10 du Code du travail seule l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi soumis aux représentants du personnel entraîne la nullité de la procédure de licenciement.
Pour rappel, l’article L. 1235-10 du Code du travail dispose que « dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l’article L. 1233-61 et s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés ».
Elle censure ainsi l’analyse audacieuse de la Cour d’Appel de Paris du 12 mai 2011 « arrêt VIVEO » largement commenté qui avait jugé que l’absence de motif économique entrainait également la nullité de la procédure.
Retour sur les faits de l’espèce.
Après son intégration dans le groupe Temenos, la société Viveo France a soumis à son comité d’entreprise, en février 2010, un projet de restructuration impliquant la suppression de 64 emplois, ainsi qu’un plan de sauvegarde de l’emploi établi à cet effet.
Après avoir pris connaissance du rapport de l’expert qu’il avait désigné, le comité d’entreprise a saisi le tribunal de grande instance, pour qu’il soit jugé qu’aucune cause économique ne justifiait l’engagement d’une procédure de licenciement et pour obtenir l’annulation de celle-ci.
L’analyse des éléments comptables des sociétés du groupe Temenos et des perspectives de l’avenir commercial de ses activités ne reflétait en effet aucune fragilité et par la même une nécessité d’assurer la sauvegarde de la compétitivité du Groupe.
C’est ce qu’a entendu sanctionner la Cour d’Appel, pour des raisons certes louables, mais en « détricotant » le texte de l’article L 1235-10 du Code du Travail par une analyse pour le moins audacieuse de la volonté supposée du législateur.
En effet, pour déclarer nulle la procédure de licenciement, la Cour d’Appel a retenu que dès lors qu’une procédure est engagée par l’employeur en l’absence de motif économique véritable, une telle carence vide de sa substance cette consultation et prive de fondement légal le projet économique du chef d’entreprise.
Elle a relevé en outre que conclure le contraire : « reviendrait à ôter à l’intervention des représentants du personnel le sens et la portée des prérogatives que le législateur a entendu leur confier ».
La Cour d’Appel souligne également « qu’une consultation sur un projet présentant comme existant un motif économique en réalité défaillant, ne peut caractériser une consultation conforme au voeu du législateur ».
Pour les juges du fond, le législateur « aurait manqué à la logique la plus élémentaire s’il avait entendu prévoir la nullité de la procédure de licenciement, en cas d’absence de plan de reclassement, sans avoir voulu la même nullité lorsque c’est le fondement même de ce plan et l’élément déclenchant de toute la procédure qui est défaillant ».
Or précisément, il est plus vraisemblable de penser que si le législateur n’a pas visé l’absence de cause économique comme cause de nullité de la procédure, c’est précisément parce qu’il ne l’a pas voulu …..
Enfin, la Cour d’Appel parachève son raisonnement en relevant que la lecture de l’article L. 1235-10 du code du travail « ne peut donc se faire qu’à la lumière, à la fois, des règles de droit commun, selon lesquelles pour qu’un acte soit valable il doit respecter les prescriptions légales, et les dispositions particulières régissant, dans le code du travail, les relations du chef d’entreprise et des institutions représentatives du personnel ».
La Cour d’Appel se référait également au respect de la loyauté qui doit inspirer ces relations du chef d’entreprise et du comité d’entreprise, sans qu’aucune atteinte ne soit selon elle portée à la liberté d’entreprendre par une immixtion dans la gestion de l’entreprise.
La Cour de cassation cependant « remet les pendules à l’heure » et censure cette décision contraire au libellé de l’article L 1235-10 du Code du Travail, « la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement ».
Et seule l’absence ou l’insuffisance du Plan de Sauvegarde de l’Emploi peut entrainer la nullité de la procédure de licenciement.
La Cour de cassation tient par conséquent son « cap » sur le PSE.
Mais que les salariés soient rassurés.
Il ne s’agit pas en effet de consacrer une impunité de l’employeur en cas de restructuration dépourvue de motif économique.
L’arrêt VIVEO porte en effet sur l’action « collective » visant à obtenir la nullité de la procédure de licenciement dans son ensemble devant le Tribunal de Grande Instance.
Chaque salarié conserve en revanche toute latitude de saisir le Conseil de Prud’hommes à titre « individuel » (les actions peuvent néanmoins être regroupées autour d’un même Conseil) pour obtenir réparation d’une mesure de licenciement qui ne reposerait pas sur une cause économique réelle et sérieuse et obtenir réparation par l’octroi de dommages et intérêts.
Cass soc 3 mai 2012 n°11-20.741